Le Côté de Guermantes

Troisième tome de la saga d’A la recherche du temps perdu. J’en avais mis une citation ici, mais bien que je voulais en mettre d’autres, je n’ai jamais trouvé le temps pour. En voici une:

“Des jugements subversifs, isolés et malgré tout justes, sont portés dans le monde par de rares personnes supérieures aux autres. Et ils y dessinent les premiers linéaments de la hiérarchie des valeurs telle que l’établira la génération suivante au lieu de s’en tenir éternellement à l’ancienne.”.

Bien sûr, l’idée de supériorité de personnes par rapport à d’autres risque d’énerver des gens, mais je vous assure que Proust n’était pas élitiste. Avec cette phrase, il était plutôt en admiration devant la capacité de compréhension du monde qui nous entoure par certaines personnes. Une incompréhension de ce qui se passe fait s’évanouir le temps; la compréhension de ce qui se passe, et des modes de pensée dans la société, fait sûrement voir le Temps d’un point plus éloigné que la majorité des gens, donne du recul par rapport aux choses. Ce recul permet d’être conscient du temps qui passe. En fait d’élitisme, Proust est juste en admiration devant ces gens gens, comme d’autres seront en admiration devant les performances sportives de tel athlète, ou d’autres en admiration devant tel peintre qui a su modeler si bien sur sa toile une nature morte (alors que d’autres qui avaient vu le même modèle étaient incapables de le reproduire de la même façon). En gros, ceux qu’on appelle visionnaires font partie de cette catégorie décrite par Proust; ils saisissent avant les autres l’air du temps. Moi, cette capacité de Proust a énoncer une telle vérité en si peu de mots m’émerveille.

Ou bien cette citation-ci:

“La médecine étant un compendium des erreurs successives et contradictoires des médecins, en appelant à soi les meilleurs d’entre eux on a grande chance d’implorer une vérité qui sera reconnue fausse quelques années plus tard. De sorte que croire à la médecine serait la suprême folie, si n’y pas croire n’en était pas une plus grande car de cet amoncellement d’erreurs se sont dégagées à la longue quelques vérités.”

…m’a fait mourir de rire. Comme c’est bien vrai, et comme c’est bien dit. Je vois donc que les médecins et la médecine n’ont pas changé en 100 ans. Cette façon de faire doit venir avec le job. Mais encore une fois, Proust énonce tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, voire même ce que les gens n’avaient jamais réalisé par eux-mêmes, tout en devinant que c’était bien là…

Ce tome fut le plus facile à lire des trois tomes. Les descriptions de 30 pages sont pratiquement inexistantes, ou alors je ne les ai pas remarquées. Par contre, les dialogues sont omniprésents; ce tome raconte l’initiation du narrateur à la vie mondaine. Et les dialogues sont assez croustillants, on se marre vraiment.

Par contre, les références plus ou moins obscures de Proust sur tout et n’importe quoi (politique, histoire, œuvre littéraire, peinture, sculpture, etc) sont aussi omniprésentes: 80 pages de notes de bas de page, pour une histoire qui prend 578 pages, c’est énorme. Mais ça m’a sauvé la vie, car je n’y connaissais rien à toutes ces références (à part les professeurs de français et les historiens, je me demande qui peut les comprendre toutes).

Enfin, un thème majeur de ce livre fut l’affaire Dreyfus. Proust en parle en long, en large et en travers. On entend parler de tous les protagonistes de cette histoire (avec une note de bas de page pour chacun d’eux). J’ai bien sûr fini par lire la page de Wikipedia sur l’affaire Dreyfus, y compris la retranscription de “J’accuse” de Zola (article très virulent, mais très intéressant au demeurant).

La recherche du temps s’avance. Il y a des passages qui me font froid dans le dos, d’autres me font rester dans le brouillard le lendemain, tellement je découvre de choses sur ce qui m’entoure. L’une des meilleures idées que j’aie eues dans le domaine de la littérature (qui n’est pas mon domaine, de très loin), c’est bien de lire cette saga. Mais j’en attends plus pour les tomes à venir. On en reparlera.

2 thoughts on “Le Côté de Guermantes”

  1. Franchement, je suis epatee que tu trouves (prennes) le temps de (re)lire ca, je me dis qu’un jour je me remettrai aussi a Proust et aux autres et peut etre que mon point de vue sera alors different de quand on me forcait a les lire en Hypokhagne/khagne…

  2. Ouais, c’est marrant comme on prend goût tardivement à s’attarder sur des oeuvres qui traversent le temps.
    A 38 ans, mes questionnements m’emmènent vers Spinoza. Pourquoi ne l’ai-je pas lu il y a 20 ans ?
    Enfin, vaut mieux tard que jamais. Le plaisir en est peut-être encore plus grand.

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