Entubage, partie 2

Sachant que j’ai effacé la première partie…sans espoir de retour, à priori.

L’une des grosses “arnaques” des entreprises au Japon (pas officiellement une, hélas) porte sur le montant du salaire même. Le candidat à l’embauche dit un chiffre (celui du salaire désiré). La compagnie accepte, ou essaie de le diminuer. A la fin, les deux parties se mettent d’accord sur un montant annuel brut (comme partout sur la planète). Jusqu’ici tout va bien. Là où ça ne va plus, c’est que ce qu’il y a de compris dans le salaire n’a jamais été discuté, et la compagnie va généralement diminuer le montant du salaire et rajouter des tas de primes et d’indemnisations pour arriver au montant voulu, sans rien en dire au nouvel embauché.

Exemple: On prend par exemple un salaire de 2,4 millions de JPY (2.4 MJPY), divisé par douze (mois): 200,000 JPY mensuels brut. C’est le montant sur lequel les deux parties se sont mises d’accord. Mais la compagnie va généralement inclure dans ces 200.000 JPY l’indemnité repas, l’indemnité de chef, l’indemnité de truc et de machin. Au total, on va arriver à, par exemple, 30000 JPY d’indemnisation et 170.000 JPY de salaire (total 200.000 JPY!). Au début on va se dire que c’est pareil, que l’argent qu’on touche est le même, quelle que soit sa justification. Que neni…

Quand on va recevoir une augmentation de x%, cette augmentation sera appliquée sur…le montant du salaire hors-indemnisations. On vous dit qu’on vous donne une augmentation de 10%, mais en fait elle ne sera que de 7% sur le montant sur lequel vous vous étiez mis d’accord. Par exemple, une augmentation de 10% sur vos 200000 JPY annuels montera votre salaire à…214000 JPY.

Et alors le bonus de performance, l’intéressement au bénéfices…c’est pareil. Le bonus est un pourcentage du salaire, pas des indemnisations. On vous dit que vous touchez un mois de salaire en bonus, et vous touchez 170000 JPY (sur lesquels on vous prendra naturellement 20-25% de taxes et impôts, mais cela nous semble plus naturel car on trouve normal de payer des impôts).

A mon avis, 90% des salariés au Japon sont concernés. Ce que je raconte n’est pas un scoop, je suis sûr que toutes les compagnies font la même chose. C’est la norme. C’est la règle du jeu. Et l’intérêt numéro un des compagnies dans tout ça n’est pas de faire rager les gens ou les entuber pour le plaisir, c’est juste qu’elles payent moins de taxes sur les indemnisations que sur les salaires.

Dans ma compagnie, ils ont fait mieux. Le salaire annuel est divisé en 13,4 (12 mois de salaire et deux bonus fixes de 0,7 mois), mais les augmentations et l’intéressement aux bénéfices n’est calculé que sur les 12 mois de salaire, moins les indemnisations repas etc.

Mais au final, vous savez, les employés n’y perdent pas; quand on y réfléchit, c’est juste que les compagnies disent “10%”, alors qu’en fait c’est 7%. Elles ne font qu’embellir le don qu’elles vous font. C’est humain, quoique mesquin. Mais ça n’est pas trop grave.

Tandis que ce que vient de faire la boite de Yukiko, c’est carrément horrible. J’ai du mal à croire que ce soit légal. Voici l’histoire.

Note: Je ne vais pas dévoiler le salaire de Yukiko (encore heureux!), donc je vais prendre l’exemple d’un salaire de 2.8 MJPY (qui n’est pas le salaire de Yukiko, et tous les autres chiffres sont proportionnels à la réalité).

Admettons donc que Yukiko et son nouvel employeur se soient mis d’accord sur un salaire brut annuel de 2.8MJPY. Le salaire est divisé par 14 (12 mois et deux bonus fixes d’un mois chacun). Montant du salaire brut mensuel: 200.000 JPY.

Dans ces 200.000 JPY, on trouve les habituels 30000 JPY d’indemnisations diverses, ET 35000 JPY d’heures supplémentaires. Salaire réel: 135 000 JPY. C’est 32.5% de moins que ce sur quoi ils se sont mis d’accord, mais l’argent qu’elle touche à la fin du mois est bien celui sur lequel ils se sont mis d’accord.

Premier bulletin de salaire (l’année dernière): Yukiko y voit “35 heures d’heures supp”. Montant du salaire: celui auquel elle s’attendait. Elle va demander des explications, et la réponse fut:

“Ouais, on “donne” 35 heures d’heures supp à tout le monde, alors même que vous n’avez pas besoin de les faire.” (sous-entendu: “on est vachement sympa”).

Deux problèmes sautent aux yeux rapidement: 1/ Le montant payé à la fin du mois est celui sur lequel on s’est mis d’accord; on ne voit pas bien là où ils sont sympa. Par contre, les augmentations et le bonus de performance ne portent pas sur les heures supp bien sûr, et ça, ça n’est vraiment pas sympa 2/ Les heures supp ne sont comptées qu’à partir de 20h. On vous dit qu’on vous paye les heures supp, vous restez jusqu’à 20h, et on vous paye zéro, car les heures supp sont déjà payées. Avec l’argent qu’ils ont l’obligation de payer (ils payent le montant écrit dans le contrat de travail, en disant “en fait ça inclut 35h d’heures supp”).

Bon alors, total des courses, Yukiko a fait comme si on ne lui payait pas ses heures supp, et basta! (en fait elle travaille tellement tard qu’elle a souvent touché quelques heures supp.). Bref, problème réglé croyait-on.

Il y a un mois, message des RH: “On révise le règlement interne. On ne paye plus 35 heures d’heures supp gratuitement, il faudra les faire. MAIS en contre-partie, les heures supp seront désormais comptabilisées à partir de 18h15!”.

Donc si Yukiko rentre à 18h tous les jours, heure règlementaire de son contrat, son salaire diminue de 17.5%. Pour gagner autant qu’avant, c’est à dire autant que le montant de salaire sur lequel elle et sa compagnie se sont mises d’accord, elle doit travailler près de 2h d’heures supp par jour.

Elle est allée voir les RH, leur a rappelé qu’ils s’étaient mis d’accord sur un salaire de X, et que ce n’était pas normal qu’elle reçoive dorénavant un salaire de 5X/6. Leur réponse (plus courtoise que ce que j’écris, mais avec le même sens): “Viens pas nous prendre la tête, espèce d’égoïste. Tout le monde est à la même enseigne.”.

Ça calme. Ils sont pas fûtés. Alors comme il ne vaut mieux pas discuter avec des gens pas fûtés, Yukiko va abandonner 17,5% de salaire à la société.