Réflexions sur l’école (2/3)

  • Les écoles japonaises publiques et privées

Au Japon, pour la notion d’écoles publiques et privées, ça m’a l’air d’être en gros comme en France. Le problème, c’est que le systeme éducatif étant totalement différent d’en France, dans le cas du Japon, cela peut poser problème. Je m’explique.

En France, le bac est un vrai examen, un barrage que bon nombre d’écoliers ne va pas passer (quoiqu’avec 86% de réussite cette année, cette affirmation peut paraître quelque peu à côté de la plaque). Une fois en poche, et si l’écolier n’a pas fait de demande ou a été refusé dans les formations qui nécessite le passage d’un concours (sur dossier la plupart du temps), comme les math sup ou les prépa machin, alors les écoliers ont le droit d’aller à l’université. Tout le monde peut y aller, sous condition d’avoir le bac. Tous ces gens ont la possibilité de travailler (travail scolaire, s’entend) pour arriver jusqu’au master.

Au Japon, on termine le lycée sans examen: tout le monde est reçu! Ce qui donne une valeur d’environ 0 (zéro) au fait de sortir du lycée. Le dernier des ignares aujourd’hui au Japon va sortir du lycée sans passer d’examen (il y a un contrôle continu bien sûr, mais ce n’est pas très difficile d’en sortir indemne). Et il n’y a pas de diplôme à la fin du lycée (il y a évidemment sans aucun doute un justificatif de fin d’études). Ensuite, toutes les universités ont un concours d’entrée, et il y a beaucoup moins de places disponibles qu’il n’y a d’écoliers en terminale. L’entrée en université est difficile, il y a beaucoup moins de reçus à ces concours qu’il n’y a d’étudiants en première année de fac en France.

Ces concours d’entrée, les universités en décident le contenu elles-mêmes (ou presque). Et ce contenu va bien au-delà du programme officiel d’éducation décidé par le ministère de l’éducation. Or, les écoles publiques suivent ce programme du ministère…que les universités ignorent gentiment. Un enfant qui va à l’école publique va apprendre des choses qui seront totalement insuffisantes pour pouvoir entrer à l’université. Il y a alors deux solutions: soit l’enfant ne va pas à l’université (mauvaise idée pour faire carrière, à moins d’être un artiste dans l’âme), soit l’enfant doit préparer ces concours par lui-même, en se rendant aux cours du soir. Les cours du soir au Japon (les Juku), c’est un business énorme. Genre gargantuesque. Il est tout à fait commun que les enfants rentrent à la maison à 20h ou 21h, après avoir fini leur école à 15h, avoir rejoint leur école de cours du soir à 15h30, et avoir fini leurs cours du soir à 20h. Arrivés à la maison à 20h/21h, ils mangent, puis doivent faire leurs devoirs pour l’école et pour les cours du soir. Evidemment, ces cours du soir, ce n’est pas donné. Mieux ils sont, plus ils sont chers. Ça doit coûter minimum entre 20000 et 30000 JPY. Un collègue paye 50000 JPY par mois pour sa fille de 9 ans (pour qu’elle puisse passe l’examen d’entrée à un collège privé). Mais ça n’a presque pas de limites. L’école publique a beau être gratuite, les cours du soir coûtent cher, eux.

Donc, bon, faire finir l’école tous les soirs (ou plusieurs soirs par semaine) à 21h à Ryu, moi je suis pas pour (Yukiko non plus). Donc école publique, c’est mal parti pour recevoir nos faveurs.

Notez que c’est le fait de permettre à tout le monde de sortir du lycée tout en empêchant la majeure partie des élèves d’aller à l’université qui rend le système extrêmement élitiste. Le mur à franchir est bien haut, et crée fatalement des inégalités importantes, qui en plus sont injustes car l’examen d’entrée aux universités est plus accessibles à ceux qui payent cher pour que les enfants aillent à d’excellentes écoles du soir (Juku).

Parenthèse: En dehors des universités, il y a des formations du supérieur qui existent (les senmon gakko et les tandai), équivalentes de nos BTS et IUT. Evidemment, le type de carrière qu’on peut espérer avoir en sortant de ces écoles n’a rien à voir avec celui qu’on peut avoir en sortant de l’université. Ces formations sont infiniment plus accessibles que les universités. Fin de la parenthèse.

Les écoles privées, ce n’est pas forcément la panacée; certaines donneraient des cours préparant mieux aux concours, d’autres non, mais en gros on dirait que le passage par les Juku s’avère tout de même nécessaire. Je manque cruellement de données pour pouvoir donner des explications sûres à 100%, tout ce que j’ai n’est que oui-dire, je manque de visibilité quant à la réalité des choses. Du coup, c’est un peu un trou noir, et je rechigne à y mettre Ryu, sans savoir ce que ça vaudra.

En ce qui concerne l’éducation dispensée dans les écoles japonaises, elle est souvent décriée par les étrangers, comme quoi ce serait du bourrage de crâne. Et puis on a droit bien sûr à l’argument sur la censure, entre autres sur ce qui s’est passé pendant la 2e guerre mondiale. Evidemment, quand il s’agit d’apprendre leurs 2000 kanji, il y a forcément du bourrage de crâne à moment donné. Et puis la censure…il n’y en a pas en France peut-être? Ahahah, je rigole doucement. Ce ne sont que des a-priori, mais je pense que dans les écoles japonaises, on fait faire énormément d’activités aux enfants, il y a beaucoup de fêtes (concours sportifs, matsuri, etc), et on pousse beaucoup les enfants à participer non seulement aux fêtes, mais pendant les cours. Beaucoup d’exposés, beaucoup de présentations orales, beaucoup de travail de groupe… et peu de compétition en définitive (à l’intérieur de la classe). Ça me semble très sain. Si seulement il n’y avait pas ces foutus concours d’entrée à l’université…mais l’un ne va peut-être pas sans l’autre.

Les inconvénients que je peux voir dans l’éducation made-in les écoles japonaises, sont d’une part que les enfants n’ont pas l’air de savoir penser en dehors des sentiers battus. Pas facile d’avoir de l’originalité dans leurs opinions. Et puis, ils sont tellement renfermés sur leur île, que leur vision des autres pays et de ce qui s’y est passé est très limitée (très sélective). L’un dans l’autre, ce n’est ni meilleur ni pire que le résultat d’une éducation à la française, même si c’est très différent (c’est mon goût personnel, il n’y a pas dans ces deux méthodes une que je préfère à l’autre). La méthode japonaise rend les relations parents-enfants plus cools tout de même, il y a moins de tensions et de frictions entre les parents et les enfants (en fait il y en a tellement peu que parfois ça sombre dans la pathologie psychologique pour les enfants, comme le phénomène de hikikomori).

En conclusion (je vais faire ma conclusion ici pour ce chapitre, sinon je peux continuer à en parler pendant des pages et des pages), l’éducation dans les écoles japonaises, moi j’aime bien, ou du moins j’en ai une bonne image et je lui ferais confiance pour faire de mon enfant un adulte responsable et bien dans sa peau. Mais alors, le coup des Juku, je tique sévère.

12 thoughts on “Réflexions sur l’école (2/3)”

  1. Ah ouais ! Quand même ! Pas facile de faire des choix maintenant qui auront leur dénouement dans plus de quinze ans…
    Une idée parmi tant : Faire l’école japonaise publique standard. Faire ses études supérieure à l’étranger. Choix lourd pour Ryu, mais qui a l’avantage d’éviter le délire des cours du soir. N’importe quelle université française ou anglaise serait ravie d’avoir un japonais dans ses rangs.

  2. L’idée de Sylvain me semble effectivement jouable… mais le tout sera de savoir si c’est que voudra Ryu… dur dur de penser avec 15 d’avance !! Pour ce qui est de l’hikikomori, j’ai vaguement approché le “truc” via un de mes amis japonais dont la soeur est dans cette situation..
    27 ou 28 ans, je ne sais plus, et elle ne peut pas sortir de sa chambre… pas même pour Noël où j’avais apporté les cadeaux pour la famille… :-/
    Enfin, les juku, moi aussi ça me ferait tiquer… bon courage !!!

  3. Sylv,Cassandre> Ecole japonaise, université française (ou US,UK,etc), oui, c’est une solution. Mais je trouve que ça ressemble à une solution de secours. Le problème de cette solution, je trouve, c’est qu’on coupe Ryu des meilleures universités japonaises, ET des meilleures écoles françaises (vous savez, ces écoles qui ont totalement noyauté tous les gros postes des deux pays). Notez, je ne trouve pas (personnellement) grave qu’il n’aille pas dans ces grandes écoles, mais ça m’embête de le priver de ces choix.

    Accessoirement, c’est aussi prendre le pari qu’en sortant de toute une éducation japonaise, il sera assez bon en français pour suivre des cours à la fac française. Et c’est pas gagné du tout. 🙁

    Enfin, il y a (statistiquement) plus de chances qu’il ne veuille pas aller en université française (ou UK,US,etc) après un parcours japonais. En effet, les hommes ont tendance à vouloir rester dans la culture dans laquelle ils ont majoritairement baigné. En ayant fait toute sa scolarité dans le système japonais, il y a des chances non négligeables qu’il veuille rester dans le même système. Je ne veux pas dire que ce serait une mauvaise idée qu’il passe du système japonais au système français entre le lycée et l’université, je veux dire que c’est le genre de chose qui devrait rester un choix. C’est à dire une option (que Ryu choisira, ou pas, car il en aura l’âge). C’est à dire que je préfèrerais préparer un parcours plus commun, plus standard, quitte à ce qu’il le change de lui-même. En gros, je préfère lui donner le choix, plutôt que de l’enfermer dans un truc pas courant que peut-être il n’aimera pas.

    Vous m’avez suivi? 😛

  4. Tiens c’est marrant, j’avais entendu dire qu’avec la baisse de la natalité, il y avait de plus en plus d’université qui avaient du mal à remplir les places si bien que certains comme Kansai Gaidai University, acceptent qui se présentent.

    Concernant les parcours, pas mal d’étudiants français ont trouvé le nouveau moyen pour intégrer le top des ESC françaises sans passer par le bourage de crane, il suffit de faire son lycée avec des bonnes notes, de faire son bachelor en pays anglophone et le cursus ESC en admission parallèle ou étrangère.
    Inversement, j’ai un ami qui a fait son bac puis une école de commerce après bac peu reconnu puis un Master à Keio qui lui permet désormais d’être le roi du pétrole au niveau recruteur japonais dans son domaine (il a aussi entre temps validé un JLPT 2).
    Dans les 2 cas, passage par lycée français.

  5. Lawren> Oué, le commentaire sur Kansai Gaidai, c’est peut-être un brin exagéré, non… 🙂

    Sinon, pour les deux cas que tu présentes, ce sont des bons coups. Si Ryu a ce genre d’opportunité, tant mieux pour lui (sur ce coup-là, il sera en âge de décider par lui-même le moment venu), mais évidemment on ne peut pas faire notre choix sur l’éducation de Ryu uniquement basé sur ce genre “d’astuce” qui permet de rentrer dans de bonnes écoles par la porte de derrière. Je sais bien que ce n’est pas ce que tu voulais dire non plus, mais juste pour préciser…

    Donc, notre choix de l’école où ira Ryu sera une voie stable où on voit assez loin ce qu’il se passe, mais évidemment les raccourcis, astuces et virages, c’est welcome le moment venu!

  6. Bonjour,
    perso, ça me fait amèrement rire d’entendre des étrangers cxhanter à la gloire du Japon, des japonaises formidables, de leur femme japonaise formidable, de la propreté des rues et de la ponctualité du train…et puis soudainement se rétracter quand on touche au sujet de l’éducation. “Ah oui mais par contre je ne mettrai jamais mes enfants dans une école japonais, il iront à l’école internationale blablabla”. Ben oui c’est mieux forcément! Mais si le Japon est ce qu’il est c’est peutêtre aussi grâce à l’éducation. Et puis c’est un peu des réfléxions de riches tout ça.
    Je ne parle pas pour toi cable; j’étais juste en train de penser à un type que j’ai rencontré dans un bar et qui nous a fait un bel exposé sur l’éducation japonaise (comme si il avait étudié dans une école d’ici) et sur la chambre de son fils qui doit faire la taille d’un 2LDK…

  7. Laurent> Pas de malentendu! C’est sympa d’avoir ménagé ma légendaire susceptibilité 😉 mais j’avoue que je ne me serais pas senti visé 😳 (je vais passer pour un gros fier qui ne se sent pas concerné) En effet, personnellement j’ai un a-priori favorable à l’éducation japonaise par rapport à la française (je pensais que ça transparaissait dans mon article…mais j’ai dû raté mon coup dans mes explications).

    C’est vrai que l’éducation japonaise est énormément critiquée par les étrangers, et je me demande bien d’où ça vient? Car quand je vois ce que ça donne plus tard, i.e. quand les petits japonais deviennent adultes, je trouve que leur éducation a de bons résultats…

  8. Tinou> Non, je n’en suis pas certain, mais je fais comme si je l’étais pour ma petite réflexion. Je fais “comme si” surtout pour me donner une base sur laquelle construire, mais accessoirement c’est aussi ce qu’il est le plus probable qu’il arrive (je peux développer si tu veux).

  9. A partir du moment où tu souhaites “un parcours standard sans couper d’option”, alors implicitement, c’est le choix d’une scolarité “lourde” avec un maximum d’options. Ce qui est terrible avec ce sujet, c’est qu’on ne peut pas “ne pas décider” d’un certain nombre de choix à la place de son rejeton.
    Et au sujet des hommes qui préfèrent rester dans leur culture, tu fais un beau contre-exemple.

  10. Oui, j’ai suivi 🙂
    bon courage alors !!! 🙂 je n’ai vraiment pas de conseil à donner, je ne suis pas à ta place ^^
    Mais je suis sûre que tu trouveras la bonne solution et que ça lui ira 🙂

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